Lu
pour vous…
Le Prix Roblès 2013 de littérature à SAUVER MOZART de Raphaël Jerusalmy
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Le 7 juin dernier le Prix Emmanuel Roblès de littérature a été attribué à Raphaël Jerusalmy pour son livre Sauver Mozart paru l’an dernier aux éditions Acte Sud. Il s’agit d’un prix organisé par les bibliothèques de Blois-Agglopolis et remis chaque année au mois de juin depuis 1990 à l’auteur français ou francophone d’un premier roman. Véritable Prix Goncourt du premier roman, il est constitué d’un jury de lecteurs et doté d’une bourse de 5000 euros qui permet au lauréat de commencer ou de poursuivre un projet d’écriture.
Nous renvoyons les
lecteurs de Cequejeregarde.com aux nombreux commentaires à la fois
perspicaces et élogieux qui ont suivi la parution de Sauver Mozart
pour nous limiter à quelques remarques qui donneront peut-être envie à ceux
d’entre eux qui ne l’ont pas encore fait de lire cet ouvrage.
Les membres du jury du Prix Roblès auront
certainement été séduits par un travail très intéressant mené par l’auteur sur
la forme littéraire. Le livre est en effet un journal intime de facture assez
classique, celui d’Otto J. Steiner écrit entre le vendredi 7 juillet 1939 et le
vendredi 2 août 1940. Le diariste y dévide presque simultanément et au jour le
jour trois fils d’intrigue : le fil personnel d’un brillant mélomane
ravagé par la solitude et la tuberculose ; le fil plus social mais
mortifère et souvent humiliant du
sanatorium de Salzbourg où il est admis ; et le fil d’une histoire
collective qui s’apprête à précipiter le genre humain dans l’horreur absolue.
Mais ce journal, curieusement s’adresse à quelqu’un, il a un destinataire en la
personne de Dieter, le propre fils d’Otto et probablement la seule personne
vivante de la famille, qui a émigré en Palestine et qui sera selon les volontés
du père le récipiendaire de ces pages et l’héritier de son appartement. Le
diariste devient alors testateur puis épistolier dans le cadre de lettres
magnifiques – écrites en italique dans le livre - et qui sont comme des ponts
jetés vers l’avenir par-dessus la catastrophe imminente. Mais ce n’est pas
tout : le contenu continu de certaines de ces lettres et le discontinu du
journal intime sont porteurs de péripéties à proprement parler narratives –
notamment la tentative d’attentat contre Hitler et la supercherie musicale de
l’ultime fiestspiele – qui justifie la mention roman présente en
première de couverture et qui font du diariste-testateur-épistolier… un
romancier ! On l’aura remarqué, Jerusalmy utilise très habilement la
palette des genres littéraires afin d’obtenir une densité et une unité réelles
d’écriture.
Raphaël Jerusalmy |
En outre, l’auteur
met à profit la culture générale du lecteur – on dirait aujourd’hui qu’il « surfe »
sur ses connaissances – pour évoquer en lui des effets d’images qui deviendront
quelques mois plus tard d’atroces réalités. Ainsi, l’idée qu’il juge cocasse de
constituer au sein du sanatorium un orchestre de phtisiques en pyjama tout
comme l’allusion renouvelée aux trains dont le mari de sa locataire rôde les
trajets vers l’est auront de sinistres applications dans le monde
concentrationnaire. Par ailleurs, dès la première date et la première
occurrence du mot « tuberculose », le lecteur comprend que l’auteur
utilise le ressort de l’anticipation dans la gestion de l’histoire et que si
l’issue tragique du personnage principal et des autres pensionnaires de
l’établissement est fortement suggérée et dénuée de toute intensité dramatique,
en revanche, c’est la façon dont les faits vont se succéder qui va retenir
toute l’attention du lecteur. Le narrateur parvient ainsi à mettre en valeur le
rôle quasi surréaliste d’officiel lors de la rencontre au sommet du Brenner
d’un Otto J. Steiner poitrinaire, souffreteux
à peine extrait de son sanatorium, qui approche Ribbentrop et le conte Ciano, à
qui Hitler – himself ! – remet sa casquette et qui est à deux doigts de
réussir l’empoisonnement des deux dictateurs… Et de la même façon, grâce à ses
immenses compétences en matière musicale et par l’intermédiaire de son ami Hans
et d’un musicien complaisant, il parvient à faire entonner un vieil air juif
que fredonnait son voisin de chambrée avant de mourir à un parterre de nazis
incultes et ridiculisés à leur insu, sauvant ainsi Mozart et la musique à
défaut d’avoir tué le führer.
Car c’est bien de
cela qu’il s’agit. Sauver Mozart, c’est refuser à la dictature l’appropriation
et l’instrumentalisation de la beauté à des fins de politique perverse et
inhumaine. Sauver Mozart c’est résister de toutes ses forces – ici déclinantes
et d’autant plus pathétiques – à l’idéologie aveugle et cruelle afin de
préserver vaille que vaille ce coin de bonheur et de liberté et ce gisement
d’idéal qui donnent du sens aux existences et les attachent à la vie. Pour Otto
J. Steiner, c’est la musique qu’il connaît et sert si bien, une musique devenue
militante, combative, subversive, politique au sens noble du terme et
particulièrement courageuse. Certes le geste est beau, généreux, sublime mais il
relève, on en conviendra, du baroud d’honneur. L’agneau de la fable
meurt sous les crocs du loup et ni La Flûte Enchantée ni La Recherche
du Temps Perdu n’ont empêché l’assassinat de millions de petits Mozart. Le
combat n’était pas singulier et jamais l’Art n’a constitué un rempart contre la
barbarie. La solution véritable, il faut curieusement la chercher moins dans
l’intérieur fictionnel de l’ouvrage que dans la réalité de l’itinéraire
biographique et atypique de son auteur ou peut-être dans le reste de son œuvre
qui mérite d’être découverte si elle est dotée de la grande qualité de ce
premier roman.
Samuel
Nathan
Sauver Mozart, Raphaël Jerusalmy, roman, mars 2012, Actes Sud
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